Après Nauryz, on part finalement en bus vers la Chine pour un trajet de 21 heures. Enfin... on essaie. Avant même de quitter la station, on prend déjà une heure de retard.

Clo et Robin s'agenouillent sur une aire d'autoroute pour câliner un tout petit chiot.
Heureusement, notre trajet de 21 heures est entrecoupé d'interludes sympas.

En début d'après-midi, on arrive à la frontière terrestre de Horgos–Khorgas. On s'attendait à une douane de province, un petit bâtiment au bord de la route et une barrière.

Première surprise :

Un gigantesque bâtiment en béton s'éleve sur une place. Il a la forme d'une arche angulaire couverte de fenêtres.
Un bâtiment de la douane. Celui où on passe la frontière y ressemble un peu, une architecture moderne avec des éléments traditionnels chinois.

Le passage de douane est digne d'un film de science-fiction. Le hall est gigantesque, blanc, aseptisé, des écrans passent des vidéos de paysages chinois en boucle. Cinq files bien distinctes nous mènent aux douanier·es. Celui qui se trouve en face de Clo ne parle pas un mot d'anglais. Pas de soucis, il pose ses questions en chinois directement dans son micro, et elles sont traduites en français en direct. Après avoir enregistré toutes nos empreintes digitales et pris nos portraits, on passe.

Bienvenue en Chine !

Une carte illustrant les positions d'Almaty (sud-est du Kazakhstan) et d'Ürümqi (ouest de la Chine)
870 km à vol d'oiseau séparent Almaty d'Ürümqi

Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vécu un tel choc culturel comme ça. Après près de trois mois dans les pays de l'ex-URSS, on s'était habitué·es à l'architecture soviétique, à certains plats et spécialités qu'on retrouve de Batoumi à Almaty, au samovar dans les trains, à la langue russe très présente. Rien ne nous préparait pour notre arrivée en Chine.

Voici quelques contrastes qui nous ont marqué·es.

La langue

Dès notre arrivée à Ürümqi1 (capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang), on réalise qu'on est en terra incognita. Les ruelles sont bordées de bâtiments aux signes incompréhensibles.

Clo et Robin, portant leurs gros sacs à dos, marchent dans une rue encore sombre. Sur les côtés, des bâtiments dont les noms sont illuminés en néon coloré.
Il fait encore sombre lorsqu'on arrive dans la rue où se trouve notre hôtel.

On examine notre réservation d'hôtel sur le petit écran du téléphone, tentant de déchiffrer son nom. 乐之居快捷宾馆 : donc un petit bonhomme à tête carrée, un Z majuscule, puis d'autres caractères... À la force de nos trois cerveaux encore endormis, on ne doit faire que quatre allers-retours avant de repérer le bon bâtiment.

La réceptionniste nous accueille et s'addresse directement à Clara, qui répond pour la première fois d'une phrase qu'elle répétera très souvent pendant notre séjour en Chine : "Wǒ bù shuō zhōngwén" (je ne parle pas chinois).

Heureusement, Google Traduction — quand on arrive à faire fonctionner notre VPN — nous permet d'avoir des "conversations" par appli interposée, malgré certains malentendus. Par exemple, Robin demande à la réceptionniste s'il y a des cafés par ici2. Réponse à travers l'appli de traduction : "Tu es intelligent ! Non, il n'y a pas de cafés." Il y a clairement un problème de traduction.

Les hôtels

Heureusement, on a quand même trouvé un café ouvert, pas très bon, mais on ne va pas faire les difficiles. Quand on retourne à l'hôtel notre chambre pour les deux prochaines nuits est prête. Deux lits bien serrés, une fenêtre (avec rideaux) qui donne sur un couloir enfumé, et surtout... la salle de bain, dont les parois sont simplement des vitres "opaques" (pas du tout opaques).

Dans une petite chambre serrée, la salle de bain blanche et aux murs-vitres prend la moitié de la pièce.
Notre chambre d'hôtel et sa salle de bain

Mais bon, on ne juge pas (juste un peu). Revoyons les désavantages et avantages d'avoir une salle de bain de ce type en toute objectivité.

Les désavantages :

  • On voit tout
  • On entend tout (vraiment tout)
  • Difficile de rester discret·e quand on a besoin d'aller au petit coin pendant la nuit

Les avantages :

  • Pas besoin d'arrêter une discussion quand quelqu'un doit aller faire pipi (on entend tout)
  • Ça rapproche

On se dit d'abord que la personne qui a dessiné cet hôtel a vraiment des goûts bizarres... mais plus tard, on retrouve des toilettes en vitre dans presque toutes les chambres où on dort en Chine, y compris dans un dortoir à six à Chengdu. Ça doit être culturel.

La nourriture

Après la cuisine assez peu diversifiée d'Asie centrale (plov, samsa, ou plov ?), on est TRÈS CONTENT·ES d'arriver en Chine. Il y a plein de stands de street food et de cantines : bāozi, crêpe jiānbǐng, nouilles froides piquantes, cuisine ouïghoure, hot pot, etc. N'oublions pas les desserts : fruits frais, boule de sésame jiānduī et autres pâtisseries sans noms.

Un monsieur nous prépare une crêpe remplie de bonnes choses à un stand de rue. Il recouvre le tout d'un peu de sauce.
La crêpe jiānbǐng, un petit-dej très apprécié
Un grand plat à partager se trouve au milieu de la table. On y voit des patates, du poulet, des piments et des graines de sésame.
Le dàpánjī (littéralement "grand plat de poulet"), spécialité d'Ürümqi
Clo et Clara sourient, assises à une table de restaurant. Sur la table, des bāozi et un plat de nouilles piquantes.
Bāozi (pains fourrés cuits à la vapeur) et nouilles froides à la sauce piquante
Les restaurants spécialisés en bāozi sont faciles à repérer grâce aux paniers vapeur, en métal ou en bambou, empilés devant.
Clara, Clo et Robin posent aux côtés du restaurateur de bāozi.
On discute un peu avec le cuisinier de bāozi — il vient de Pékin et connaît quelques mots d'anglais.
Clara ouvre en deux la pâtisserie fourrée de riz violet. Clo, Clara et Robin sourient à la caméra avec des sticks-ananas à la main.
Une pâtisserie sans nom et notre apport de vitamines quotidien : de l'ananas bien frais !
Une dame vend ses snacks frits à un stand mobile.
Street food pour le petit-dej : galettes aux oignons verts et trucs frits

Le soir venu, les ruelles populaires se remplissent de stands qui vendent des plats et snacks en tous genres. Les passant·es se régalent, courbé·es sur des bébé-chaises et tables. On est projeté·es sept ans plus tôt, à notre découverte de la street food au Vietnam.

Est-il nécessaire de préciser qu'on est aux anges ?

Les parcs

Le lendemain de notre arrivée, on décide d'aller faire une balade au People's Park. Le parc est immense, mais il n'y a que deux entrées gardées, une à chaque extrémité. Au Xinjiang, tout est extrêmement surveillé et sécurisé. Impossible de faire un pas dans un parc public ou un centre commercial sans que toutes nos affaires passent aux rayons X.

Vue calme d'un lac. Sur l'autre rive, une maisonnette à l'architecture traditionnelle. Plus loin, de grands immeubles blancs.
On s'assied au bord du lac de People's Park pour manger notre crêpe jiānbǐng achetée devant le parc.

Ce parc est sans aucun doute the place to be à Ürümqi. Pour toute personne de plus de soixante ans, c'est un rendez-vous quotidien. D'après vos envies, il y a différentes sections :

  • le coin danse où tout le monde peut rejoindre une ronde ou une choré. Il y en a pour tous les goûts : danse de salon, danse ouïghoure, aérobique chinois.
  • le coin jeux où on s'affronte au xiangqi (les échecs chinois) ou aux cartes
  • le coin sport avec de l'équipement mis à disposition par les autorités, pour bouger, faire des étirements et s'auto-masser
  • le coin ping-pong où le niveau est clairement plus élevé qu'aux tables d'Europe
  • le coin "parc d'attraction" où les parents peuvent mettre leurs enfants dans un petit train
Sur une place du parc, des personnes forment une ronde et dansent de façon synchronisée. Au centre de la ronde, le leader mène la danse.
Une ronde de danseur·ses — pour une fois, facile de reconnaître le leader qui mène la choré.
Une dizaine d'hommes entourent une table où se déroule une partie de xiangqi.
Les jeux "à deux" se jouent habituellement à beaucoup plus que deux. Commencez une partie d'échecs et vous serez vite entouré·es d'une foule de spectateurs qui vous donnent des conseils.
Deux messieurs s'affrontent au xiangqi sur une petite table en plastique pliable. Autour d'eux, six personnes observent le jeu intensément.
Une partie de xiangqi (échecs chinois) en cours
Robin se masse le mollet à l'aide d'un équipement spécialisé. Clara et Clo font de même, visiblement satisfaites.
On copie les petites vieilles et masse nos mollets fatigués sur les machines mises à disposition.
Un espace ping-pong très bien entretenu, où on voit huit tables en pleine partie.
Le coin ping-pong est super bien entretenu et très populaire.

En dehors de ces sections, on trouve des gens qui font de la musique, des coiffeur·ses, des stands de snacks, et partout (partout !) des karaokés improvisés, avec micro et haut-parleurs. On ne sait plus où donner de la tête.

À l'abri d'un pavillon, un monsieur chante au karaoké, une tablette montée sur un trépied servant d'écran.
Sous un pavillon, quelques personnes installent leur matériel de karaoké et augmentent le volume au maximum.
Un monsieur joue de la flûte traditionnelle pour une petite audience.
Sous un autre pavillon, des joueurs de flûte montrent leur talent.

On s'installe sous un pavillon pour écouter la performance d'un flutiste amateur.

Le bruit

Les parcs publics sont très utilisés. Et comme le reste de la ville, ils sont très bruyants — impossible de trouver un îlot de calme.

Dans les rues commerciales, des messages de promotion sont diffusés en boucle par des haut-parleurs. Dans les parcs, on passe d'un karaoké à un autre, d'une musique de parc d'attraction à une musique de danse. Dans le bus, les arrêts sont annoncés avec le volume au maximum. Dans les cantines, celui ou celle qui crie sa commande le plus fort sera servi·e plus vite. On est loin du calme relatif d'Asie centrale (exception faite au bazar).

Un long bâtiment est couvert de pubs verticales déroulées depuis le toit de l'immeuble. Les fenêtres sont
Les pubs ne sont pas que sonores

La technologie

Tout le monde a ses idées préconçues de la Chine, qui incluent souvent une grande muraille, des pandas, un hot pot, des mégapoles polluées et surpeuplées.

Mais quand on dit Chine, on ne pense pas forcément à la modernisation fulgurante de ces quelques dernières décennies. À Ürümqi, "petite" ville de 4 millions d'habitant·es, on est bien sûr loin de l'échelle de Pékin ou de Shanghai. Pourtant, la ville est moderne, les transports publics fonctionnent très bien, il y a un métro flambant neuf.

Bien entendu, il faut faire attention à ce que personne ne fasse exploser la station : nos visages sont filmés aux tourniquets, nos sacs passent aux rayons X, on passe à travers le détecteur de métal, nos bouteilles d'eau passent un contrôle "c'est bien de l'eau et pas un produit chimique". (Parfois, on nous demande simplement de boire un coup pour le prouver.)

Un sac sur le dos, Robin passe le tourniquet du métro. Son portrait s'affiche sur le petit écran à son passage. Robin se fait contrôler manuellement, juste après avoir passé le détecteur de métal.
(1) Robin passe un tourniquet de métro (à Chengdu). (2) Il est contrôlé à un détecteur de métal pour entrer dans une rue marchande d'Ürümqi.

Effectivement en Chine, qui dit "moderne" dit aussi "surveillance", à commencer par des caméras de vidéosurveillance à tous les coins de rues. On en a vu des simples aux sommets de poteaux, et des plus complexes (déguisées en arbres). Chaque hôtel doit également nous enregistrer auprès du gouvernement, et l'information est ajoutée à notre "dossier" personnel en Chine.

Sur un trottoir, quatre caméras se trouvent au sommet d'un poteau.
Des caméras simples
Un arbre paraît beaucoup plus grand que les autres... Ah ben non, ce sont des caméras se trouvant en haut d'un poteau déguisé.
Des caméras undercover

La modernité chinoise se remarque jusqu'aux stands de street food : depuis l'arrivée du smartphone, on ne paie plus qu'avec les applis de paiement WeChat et AliPay. Imaginez manger un bol de nouilles sur une bébé-chaise en plastique pour ensuite payer en scannant un code QR scotché sur le stand de la vendeuse. Dans l'idéal, tout marche comme sur des roulettes. Dans les faits, ce n'est pas si simple pour un·e touriste :

  1. Comme pour tout, votre identité doit être vérifiée pour pouvoir utiliser ces applis. Mais la vérification ne fonctionne qu'une fois sur deux pour les étrangers, surtout sans numéro de téléphone chinois3.
  2. "Bon OK, mais on peut toujours payer en espèces si l'appli n'accepte pas notre inscription." Pas si facile en réalité. Vu que 99% des paiements se font via ces applis, beaucoup de vendeur·ses n'ont pas de monnaie.
  3. Les applis ne font jamais qu'une seule chose. Par exemple, Alipay est principalement une appli de payement, mais on peut aussi l'utiliser pour envoyer des messages, acheter des billets de train, faire une traduction, louer un vélo, appeler un taxi, ou installer d'autres applis à l'intérieur de l'appli. C'est aussi plein de pub et de fonctionnalités inutiles, et ça les rend monstrueusement lentes à utiliser.
Deux captures d'écran de l'app Alipay. On peut y voir au moins une vingtaine de fonctions différentes.
AliPay, appli de paiement... et bien plus encore

La façade

Ürümqi a marqué nos premiers pas en Chine, un vrai dépaysement qui nous remet des étoiles dans les yeux. On mange super bien, on est accueilli·es partout avec des grands sourires, un vendeur de rue donne un fruit à Robin, une passante nous offre à tout·es des ananas frais.

Pourtant, une impression de ne voir que la moitié des choses nous reste au coin de l'esprit. Depuis 2010, l'ethnie ouïghoure en Chine est victime d'une politique répressive énorme — on parle même de génocide culturel. Surveillance en masse, camps d'internement, travail forcé, stérilisations forcées, persécution religieuse : voilà quelques aspects qui nous ont été complètement invisibles. Et c'est voulu : les autorités tolèrent le tourisme au Xinjiang, tant qu'il se limite aux sentiers battus.

Trois policiers nous arrêtent d'ailleurs alors qu'on traverse un centre commercial. Ils veulent voir nos passeports et nous demandent :

— Avez-vous lu des choses bizarres sur le Xinjiang ? Parfois, des mensonges peuvent circuler sur Facebook et sur d'autres réseaux sociaux...
— Euh... ah d'accord, on n'utilise pas Facebook et on n'a rien vu rien entendu. Rien du tout.

On répond en faisant les touristes innocent·es. Ils finissent leur interrogatoire avec une question déstabilisante : "On peut prendre une photo ensemble ?"

On se regroupe, sourit nerveusement à la caméra et cheeeese.


Notre position privilégiée de touristes nous permet de profiter des bons côtés d'Ürümqi et de sa météo printanière. Son aspect le plus sombre nous est totalement invisible. (Le seul indice étant la surveillance de masse.)

Nos quelques premiers jours en Chine nous font plutôt découvrir son amour des parcs, des jeux, de la musique et de la street food. Autrement dit, ça commence bien.

— clara & robin

Footnotes

  1. En ouïghour : ئۈرۈمچى, en chinois : 乌鲁木齐, en pinyin : Wūlǔmùqí

  2. Question importante, parce que quand personne n'utilise Google Maps (tous les services Google sont bloqués en Chine, aux côtés d'autres sites dangereux comme Wikipédia), comment est-ce qu'on trouve un café ouvert à 8h du matin ?

  3. Mais impossible pour un touriste d'acheter une carte SIM au Xinjiang sans traduction notariée du passeport, donc pas de numéro.

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