Gyumri, deuxième ville d'Arménie avec ses 110'000 habitant·es. C'est deux fois moins qu'avant le tremblement de terre qui a tout rasé en 1988, et dont la ville ne s'est pas encore relevée. Résultat : ça fait vide.

Une rue de Gyumri, de vieux bâtiments gris à un ou deux étages bordent la rue. Le sol est dallé, des vieilles voitures sont garées sur le côté. De la plomberie et des raccordements électriques traversent le ciel au-dessus des bâtiments.

On va manger midi à l'un des cinq restaurants du centre. (Ok, on exagère, mais c'est un peu ça l'atmosphère.)

Bon signe, la porte est ouverte. Elle donne sur une petite pièce en contrebas, à laquelle on accède par un escalier. Trois tables se chevauchent dans cet espace restreint, un comptoir sépare la partie cuisine de la partie service. Il n'y a personne.

On dit bonjour, on fait du bruit, personne n'est là, on ressort. Un monsieur qui fumait devant le restaurant nous fait de grands gestes, monte à l'étage et nous ramène la restauratrice. "Vous auriez dû faire du bruit", elle nous fait comprendre.

On s'installe à la table coincée entre le mur et le frigo. Le menu est uniquement en arménien et en russe. Heureusement, on voit quelques photos qu'on reconnaît.

Menu du restaurant en russe et arménien uniquement, on voit une photo de soupe et une photo de hamburger.

La restauratrice nous pointe du doigt la spécialité de l'établissement : le khach (ou plutôt խաշ / xаш). On en avait déjà entendu parler avant, une soupe faite avec le pied d'une vache, si on se souvient bien. Robin n'a pas l'air emballé, mais qui ne tente rien n'a rien !

À refaire, on aurait peut-être hésité un peu plus.

Dans notre version, on avait des beaux morceaux de tripes et un pied de vache. Sur le côté, du lavach grillé, des grands piments verts au vinaigre, un bol d'ail frais pressé et du sel.

Le khach, une soupe blanche, laiteuse, où flotte des morceaux de tripes et de lavach grillé.

La restauratrice pose le plat devant Robin. Elle a arrêté les tentatives de russe et adopte une technique de mimes agréés de "mmph" pour nous faire comprendre les choses.

Elle fait mine de prendre l'ail frais, le sel et de les ajouter au bol — "mmph". Elle fait ensuite semblant de prendre un morceau de lavach — "mmph" — et de l'émietter dans la soupe — "mmph".

(On lui fait des grands sourires en acquiesçant. Elle a l'air contente de notre niveau de compréhension.)

Elle commence alors un mime plus complexe où elle prend un visage décidé et tape sur son torse. (On la regarde avec des yeux ronds.) Elle marmonne quelque chose et prend une nouvelle pose : les sourcils légèrement froncés, le regard au loin, la posture droite, les bras le long du corps se fermant en poings. (On continue à la regarder les yeux ronds.) Elle marmonne, réfléchit, puis nous fait la pose de Schwarzenegger qui montre ses muscles.

"Ah, strong! Khach makes you strong!" On lui re-mime le geste des muscles en réponse. Elle sourit, satisfaite d'avoir fait passer le message et retourne à la cuisine.

Robin mange une cuillère, deux cuillères, trois cuillères de khach.

Robin souffle sur une cuillère de soupe trop chaude. Sur la table, la soupe, les piments verts vinaigrés, du lavach. En fond, on voit la cuisine avec une cuisinière à la tâche.

Je vais passer au "je" à ce stade de l'article. Car à la troisième cuillère de ce mets, Robin m'annonce que je peux finir la soupe sans lui.

Je plonge dans le bol à mon tour. Je rajoute du sel et l'entièreté du bol d'ail. Au fond, c'est pas mauvais, le goût est assez doux, avec un arôme de tripe qu'il faut savoir apprécier.

J'avance la soupe petit à petit et me retrouve avec un fond de liquide et encore beaucoup de morceaux de tripes de 5x5 cm. Autant dire qu'il faut bien mâcher pour tout faire passer.

Clara mange une cuillère de khach, un morceau de lavach dans la main. Sur la table, la soupe, l'assiette avec le pied de vache (sous un lavach), les piments verts vinaigrés, du lavach, un grand bol de sel.

Vingt minutes et une mâchoire vachement plus musclée plus tard, je finis enfin la soupe. Je suis repue.

La dame revient, contente de voir que j'aie bien fini la soupe. Elle me montre l'assiette où elle avait placé le pied de vache en début de repas. Jusque-là, je faisais mine de ne pas le voir. (Elle l'avait recouvert d'un morceau de lavach pour le garder au chaud. Loin des yeux, loin de l'estomac.)

Elle pointe du doigt le pied dans l'assiette — "mmph", fait mine de l'enrouler dans un lavach avec un grand piment vert vinaigré — "mmph", d'ajouter de l'ail sur le tout...

"Ah mais tiens donc, tu n'as plus d'ail !" C'est sûrement ce qu'elle voulait me dire. Mais ça s'est plutôt traduit en "mmph" accompagné de plein de gestes. Elle me ramène immédiatement un ail fraîchement pressé. Quelle chance.

Je n'ai plus faim mais je me mets à la tâche : un bout de lavach, un morceau du pied (très gras), un piment, de l'ail. Avec chaque rouleau, j'ai l'impression de manger un gros morceau de gras en étant déjà saturée.

Clara nous présente un rouleau de lavach fait de gras de pied de vache, piment vert vinaigré et ail pressé.

Bref, je me suis arrêtée après trois gros rouleaux. La dame est revenue une dernière fois et m'a demandé si c'était bon en me faisant des pouces levés vers le haut : "mmph ?". Je lui réponds "very good!" en lui montrant mes pouces et un grand sourire.

La restauratrice et Clara prennent la pose pour la photo. La restauratrice est une petite dame à cheveux teints en orange, courts, portant un pull violet. Clara doit se baisser pour s'adapter à sa taille.
Fin de repas : la restauratrice et Clara

Après être partie du restaurant, je comprends finalement ce qu'elle voulait nous dire en début de repas. C'est pas la soupe qui rend forte, mais il faut être forte pour la manger !

— clara

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