Le 29 janvier 2019, on sortait du train à Berlin Ostbahnhof avec l'intention de poser nos valises après notre voyage en Asie du Sud-Est. Mission accomplie : on restera à Berlin quatre ans, habitant dans cinq appartements différents, tous compris dans un rayon de 4 km.

Ça fait maintenant bientôt un an qu'on a quitté Berlin pour l'Ardèche. On y revient en tant que touristes, mais avec le bagage de ceux qui y ont vécu. En ce jour de novembre 2023, le ciel est gris, presque blanc. Les habitants sont au travail, les touristes à la Potsdamer Platz, et seules quelques personnes habillées de noir marchent dans les rues mornes du quartier de la gare de l'est. On se joint à elles pour une balade à travers le temps, pour retracer les pas qui nous auront menés d'un appartement à l'autre.


Andreasstraße 20, janvier – avril 2019

On arrive à Andreasstraße dans la nuit et le brouillard. On transporte deux énormes sacs-à-dos, à peine défaits de notre périple en Asie. Il n'a pas fallu les porter très longtemps : le bâtiment numéro 20 se trouve tout près de la gare. On y a trouvé une coloc où atterrir et chercher notre propre appartement. C'est un immeuble de 18 étages gris et rose que les habitants appellent la "Tour d'argent".

Le bâtiment Andreastraße 20, vu d'en bas. On a l'impression qu'il nous écrase.

Robin — Depuis notre fenêtre du 14ᵉ étage, on ne voit que le brouillard. Surprise le lendemain au réveil : on a une vue directe sur la Fernsehturm. On apprend ce qu'est une Zweck-WG : une "coloc utilitaire" où les colocataires se partagent le loyer et l'espace sans socialiser au-delà du strict nécessaire. On ne croise presque jamais nos colocs qui ont un rythme très différent du nôtre.

Clara — Nos colocs nous disent qu'ils sont à Berlin depuis 5 ans. 5 ans, ça nous paraît fou, une éternité. Qui aurait pensé qu'on serait finalement resté·es 4 ans à Berlin. Ces premiers mois on a ni vélo, ni abonnement de transport public. On marche beaucoup, au moins une heure tous les jours, surtout pour aller à l'un des cafés du coin.

La porte d'entrée d'Andreastraße 20. Clara regarde les dizaines de boutons d'interphones du bâtiment.

Après quelques mois à Andreasstraße, on se voit mal rester dans les alentours de la gare de l'est. Le quartier se résume à la présence de la gare et d'immeubles résidentiels mornes, une zone morte entre les quartiers de Prenzlauer Berg au nord, Friedrichshain à l'est, Kreuzberg au sud et Mitte à l'ouest. Les cafés se trouvent à Kreuzberg. C'est là qu'on ira.

Andreasstraße 20 → Görlitzer Straße 69, 2.1 km, 30 minutes de marche

Görlitzer Straße 69, avril – octobre 2019

On tombe sur une annonce de sous-location sur eBay Kleinanzeigen. Il n'y a pas de photos, mais le prix est abordable et l'appartement se trouve dans un quartier sympa. Robin le visite seul, on a l'impression d'être tombé·es sur la perle rare : 90 m2, plafond haut, vieux plancher en bois, espace aéré et lumineux. La salle de bain fait la taille de notre chambre dans la coloc. On emménage.

Entrée de Görlitzer Straße 69 : la porte est ouverte et on entrevoit la cour intérieure.

Clara — En sortant de l'immeuble, on a un glacier sur la droite, un café de spécialité sur la gauche et un parc de l'autre côté de la rue. Notre routine se précise : on va au travail en semaine à vélo, à la Markthalle Neun le samedi matin pour acheter des légumes frais, à Original Unverpackt pour le reste des courses. On se lance dans le Zero Waste — des pastilles pour se laver les dents, des produits en vrac, des sacs réutilisables.

Robin — C'est notre premier été à Berlin. On mange des glaces dans le parc, on se baigne dans les lacs. On cherche et trouve du travail, qui remplacera au quotidien nos projets personnels comme Eau de poisson. Pour aller au bureau on loue des Swapfiets pendant quelques mois, puis on achète nos propres vélos à des bourses aux vélos d'occasion. On commence à créer des liens.

Vue de la rue faisant face à Görlitzer Straße 69 : des voitures parquées le long du parc (fermé), le ciel est couvert.

On s'était arrangé·es avec les locataires et le propriétaire, on ferait un transfert du bail en octobre. Mais le propriétaire annule tout à la dernière minute : on a deux semaines pour trouver un nouvel appartement et quitter les lieux.

Görlitzer Straße 69 → Dieffenbachstraße 55, 1.8 km, 25 minutes de marche

Dieffenbachstraße 55, novembre 2019

On ne passe qu'un mois à Dieffenbachstraße, c'est une mesure d'urgence le temps qu'on trouve quelque chose à long terme. Un expat russe sous-loue son appartement du Gräfekiez pendant ses vacances, ça sera parfait. On entre dans notre premier automne, les journées raccourcissent, la température baisse.

Porte d'entrée de Dieffenbachstraße 55 : quelques graffitis sur la droite, une fenêtre recouverte d'un faux paysage sur la gauche.

Robin — Notre appart temporaire est à 100 mètres (et cinq étages) d'Albatross, une de nos boulangeries préférées, on y mange beaucoup de pâtisseries (leur spécialité est le Queen A, un kouign-amann revisité). Juste à côté on brasse notre première bière à Mash Pit, une brasserie participative. Il y a des énormes tas de feuilles mortes dans les rues pavées, qu'on retrouve en nous y promenant maintenant, quatre ans plus tard.

Clara — On est au 5ᵉ étage, assez haut pour profiter de la lumière du soleil qui commence à se faire rare. Une petite boule disco est attachée devant la fenêtre et reflète cette lumière dans tout le salon. Le matin, le réveil s'allume petit à petit et nous réveille avec des sons d'oiseaux.

Dieffenbachstraße 55 → Hobrechtstraße 58, 750 m, 10 minutes de marche

Hobrechtstraße 58, décembre 2019 – mai 2021

On a eu de la chance et trouvé un studio meublé et fraîchement rénové, tenu par un couple d'artistes. Elles ont mis tout leur cœur dans cet appartement et tout a été planifié au détail près, de la marque de la machine à laver à la teinte du blanc du mur des toilettes. Enfin, on obtient un contrat de bail à nos noms pour une durée indéterminée. On est content·es de finalement poser nos valises.

Hobrechtstraße 58, vu de l'autre côté de la rue. Il fait sombre, une fenêtre est éclairée au rez-de-chaussée.

Clara — Hobrechtstraße, c'est habiter quasi à ras le sol, ou juste assez surélevé pour ne pas croiser le regard des passant·es. On a notre livreur de paquets Hermes préféré, ou plutôt, on est ses habitant·es de choix : toujours à la maison et prêt·es à récupérer les paquets de tout l'immeuble. On pourrait ouvrir un Paketshop officiel. Notre hall d'entrée (bien à l'abri) est l'endroit parfait pour mettre des objets inutilisés "zu verschenken". On y récupère un super thermos, une guitare, des ustensiles de cuisine, une bouteille de Glühwein, un bonnet vert.

Robin — Quelques mois après notre emménagement, c'est le confinement. Juste avant, on avait eu la prescience de (1) suivre un atelier pour apprendre à faire du pain au levain et (2) acheter un projecteur. On fait donc du pain dans notre mini four (taille micro-ondes) et regarde la totalité des films du MCU. On travaille depuis la maison, ce qu'on continuera à faire même quand les bureaux rouvriront. Pour se faire plaisir on prend souvent des pizzas à emporter chez Gazzo, nos voisins et une des meilleures pizzerias de la ville.

Vue de la porte de Hobrechtstraße 58.

Le période de confinement la plus dure touche à sa fin, on continue à travailler de la maison la majorité du temps.

Comme beaucoup de confinés en ville, on rêve de déménager à la campagne. On aimerait surtout repartir faire un grand voyage, mais en ces temps incertains on décide de rester à Berlin un peu plus longtemps. On se lance dans la recherche d'un plus grand appartement qui nous permettrait de plus facilement travailler tous les deux de la maison. Notre exigence numéro un : deux pièces séparées par une porte, pour pouvoir avoir deux appels simultanés.

Hobrechtstraße 58 → Mengerzeile 13, 1.5 km, 20 minutes de marche

Mengerzeile 13, mai 2021 – janvier 2023

Mengerzeile 13 fait partie d'un nouveau complexe d'immeubles dans un quartier résidentiel. Notre balcon donne sur une cour intérieure connectée à d'autres cours, un véritable dédale où de nombreux livreurs se sont perdus.

Vue d'un des bâtiments du complexe dont fait parti Mengerzeile 13. L'architecture est brute et moderne, les bâtiments sont en béton avec des structures en métal. Il fait nuit. quelques balcons sont éclairés.

Robin — On choisit cet appart parce qu'il est à proximité du canal, de la Weserstraße (boire) et de la Sonnenallee (manger), et de deux salles de bloc. Par contre le quartier lui-même ne nous paraît pas exactement vivant... jusqu'à l'ouverture de La Vineria, un petit bar à vin tenu par Daniele, un expat italien super sympa. Des amis italiens viennent de l'autre bout de la ville pour prendre l'aperitivo, mais on y croise surtout des voisins. Dans les derniers mois on y va presque une fois par semaine pour un spritz ou un verre de rouge, accompagné de taralli ou d'un panino. Et il y a aussi Neue Republik Reger, La Vie en Toast, Masha's, Passenger... un super quartier après tout !

Clara — Un petit garçon joue à l'ambulance sur sa voiture à roulettes en plastique, il court en rond à travers la cour intérieure "iii-uuu-iii-uuu-iii-uuuu". À 6h50, les mercredis et vendredis, on part de chez nous alors que le ciel est encore sombre. On traverse deux ponts pour arriver 12 minutes plus tard à Boulderklub. Après une heure de grimpe avec les copains et copines, direction la boulangerie française La Maison (toujours le même parcours), à deux pas du Landwehrkanal. On partage cafés et viennoiseries (toujours les mêmes) et on rigole fort.

Quatre ans après être arrivé·es à Berlin, on se sent chez nous. On a des amis qu'on adore, notre routine et habitudes, on connaît les commerçant·es du quartier. Tout va pour le mieux.

Mais maintenant que le confinement est bien terminé et les frontières rouvertes, on a à nouveau la bougeotte. Pour commencer, on refait surgir un petit bout de rêve qui nous trottait dans la tête : tester un mode de vie plus simple à la campagne. En janvier 2023, on rend notre appartement berlinois et on roule jusqu'en Ardèche.

Mengerzeile 13 → Joux (Ardèche, France), 1421 km, 15h20 de voiture

— clara & robin

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