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Le temps d'une pause à Almaty
Une morceau d'occident entre l'Asie centrale et la Chine
On croyait en avoir fini avec l'hiver après quelques jours agréablement tempérés à Tachkent et Shymkent. On avait tort. Le lendemain de notre arrivée à Almaty, un 14 mars, il tombe 20 centimètres de neige en quelques heures.
Ralentir
Heureusement, la neige ne dérègle pas trop nos plans : on veut surtout profiter de la familiarité d'Almaty, parfois décrite comme la "ville la plus occidentale d'Asie centrale", pour faire une pause de dix jours avant notre passage en Chine.
On avait bien planifié d'aller grimper en falaise à Tamgaly-Tas, mais vu la météo, on s'est rabattu·es sans trop rechigner sur les cafés.
Skier
Faute d'escalade en falaise, on saute sur les skis. Un bus public nous mène directement du centre-ville au pied des pistes de Shymbulak, la plus grande station d'Asie centrale.
Mettez "la plus grande station" entre guillemets, parce qu'on y trouve exactement quatre télésièges et trois pistes (dont une très longue). On est loin des Alpes.
Ça ne nous empêche pas de profiter de notre première journée sur les pistes depuis l'hiver 2018–2019, d'admirer les magnifiques pitons rocheux des monts Tian Shan en mangeant un plov (le plus cher de notre voyage), de faire la course avec un snowboardeur russe (Robin a gagné) et de prendre un coup de soleil sur le nez — tout ça pour la somme imbattable de 25 euros par personne (location d'habits et de matériel incluse).
Grimper
Pas de falaise, on l'a déjà dit, mais on peut quand même profiter des deux (!) belles salles d'escalade d'Almaty pour grimper un peu. Notre dernière session remonte à une petite salle de bloc d'un club de Bakou — ça fait plaisir de remettre les chaussons aux pieds.
On va faire du bloc à Skala à deux reprises. On y rencontre une partie de la petite communauté de grimpeur·ses kazakhe, et aussi Mathieu, un Lausannois arrivé à Almaty il y a environ un an pour le travail.
On remet aussi le baudrier dans une salle d'escalade un peu excentrée (toujours Skala). On y retrouve Clo, Shun et Mathieu, et grimpe aux côtés de l'équipe nationale kazakhe d'escalade de vitesse.
Randonner
Mathieu nous dit que ce qu'il préfère à Almaty, c'est la proximité aux montagnes Tian Shan et les possibilités infinies de randonnées et treks dans la région.
La météo est au ski plus qu'à la rando, mais motivé·es par Clo, on essaie d'aller marcher au Grand lac d'Almaty, un réservoir d'eau naturel pour la ville (dans les montagnes à 15 km du centre).
Malheureusement, risque d'avalanche et route fermée : on se rabat sur un sentier à flanc de coteau, avec une vue magnifique sur cette vallée du parc national d'Ile-Alatau. C'est pas mal non plus.
On n'est pas les premier·es à passer donc il y a heureusement déjà un chemin dans la neige. Le soleil brille, on tombe sur un petit bonhomme de neige et on lui rajoute un chapeau, une maison et un chien.
En rentrant en ville, le barista du café où on fait une pause nous dit que tant que les montagnes restent inaccessibles (à cause de la neige), il y a des options de "randonnées urbaines". Il nous donne un nom : Terrenkur.
Le lendemain, on retrouve Clo à la place Abaï au centre-ville, et suit la voie verte Terrenkur sur plus de quatre kilomètres le long d'un canal tranquille.
La pente est douce et bien à l'ombre, il n'y a pas trop de monde, c'est très reposant. Au retour, on a encore de l'énergie, alors on décide de monter sur Kök-Töbe (la "colline bleue"), une colline à ~1100 m d'altitude juste à côté de la ville (elle-même comprise entre 650 m et 950 m d'altitude).
Par contre, pas question de payer 10 € pour le téléphérique touristique, surtout que notre carte montre qu'un sentier y mène tout droit.
C'était sans compter qu'à la fonte des neiges, le chemin s'est transformé en flaque de boue. On finit par couper à travers les broussailles, les champs, puis dans la neige.
Les pieds trempés mais satisfait·es, on arrive au sommet juste à temps pour le coucher de soleil.
En haut, il y a la grande tour de la télé, un petit parc d'attractions pour les enfants, la statue des Beatles la plus moche du monde où passent des reprises de leurs chansons (ils n'ont probablement pas eu les droits), et un petit zoo où on trouve les BEST EXOTIC ANIMALS, selon le panneau. On redescend le long de la route.
Se balader
Même en dehors de ses randonnées urbaines, Almaty est une ville très marchable. C'est très vert, les trottoirs sont souvent séparés des routes par une rangée d'arbres, et chaque intersection ou dégagement offre une vue splendide sur les montagnes — surtout le matin et le soir quand les Tian Shan sortent de la brume.
Nos balades dans les rues sont aussi l'occasion d'admirer nos derniers immeubles brutalistes décorés de motifs en béton avant de quitter l'ex-URSS.
L'architecture soviétique n'est jamais ennuyante.
Aujourd'hui, plutôt que de mosaïques et de bas-reliefs, c'est de street art qu'on agrémente les façades.
On n'a pas eu le temps de vraiment faire des recherches sur les artistes locaux ni de s'organiser une balade street art, mais on trouve facilement des cartes et des articles intéressants en ligne. Ça sera pour la prochaine fois !
Cuisiner
On se réjouissait aussi de notre pause à Almaty parce qu'on avait réservé un apartement avec cuisine sur Airbnb : on allait pouvoir cuisiner un peu, comme à Bakou ou à Tbilissi.
Manque de bol, la cuisine était super mal équipée, et on n'avait qu'une poêle. Malgré tout, on a pu se faire des petit-dej à la maison et quelques plats : une shakshuka, des spaghetti caccio e pepe, et même une soirée fajitas avec Clo (en partageant les verres).
Faire des courses
Qui veut cuisiner doit d'abord faire des courses. On a donc découvert les supermarchés d'Almaty (Small, Magnum) et leurs étagères pleines de surprises :
On fait aussi quelques achats au Kök bazar ("marché bleu", le marché central), pas très souvent parce que c'est à 1h20 de marche de notre appartement (Almaty, c'est grand).
Mais le marché est près du parc des 28 gardes de Panfilov, donc très pratique pour faire un pique-nique quand il ne pleut pas (et ne neige pas).
On profite aussi d'être au marché pour faire des provisions de voyage : du qurt, des barres de céréale, un pantalon léger pour Robin (on a de nombreuses nuits de bus/train en vue, dormir en jeans c'est pas très confortable).
Manger
On cherchait des samsa au marché, parce que c'est un des repas les plus abordables à Almaty. Eh oui, avec l'atmosphère occidentale vient aussi une quasi-disparition des petites cantines, et donc une sérieuse hausse du budget nourriture.
On n'a pas beaucoup mangé dans les restos branchés d'Almaty — notre expérience se résume à un (excellent) bortch ukrainien la veille de notre départ avec Mathieu, Shun et Clo.
Un endroit qui mérite une mention spéciale est un fast food près de la gare qui vend les plus grands burgers qu'on ait jamais vus.
Depuis le Caucase, on a souvent vu les burgers servis avec des gants en plastique jetables. Jusque-là, on avait toujours refusé de les utiliser : un burger est toujours meilleur quand on le mange avec les mains. Mais cette fois, la bête est tellement immense et dégoulinante qu'on comprend pour la première fois l'intérêt. On n'aurait pas dû prendre des frites en plus.
Boire
Tout amateur·trice de boissons alcoolisées sera ravi d'apprendre qu'Almaty a de tout. On n'est pas des grand·es passionné·es de spiritueux donc on ne se prononce pas sur le sujet (sauf pour noter qu'il y a systématiquement un rayon entier de vodkas dans les supermarchés), mais on ne dit pas non à un verre de rouge.
Comme partout en ex-URSS, on trouve beaucoup de vin géorgien — plutôt la production industrielle des gros domaines que les bouteilles de vin nature que les cavistes de Berlin ou de Londres s'arrachent.
Mais il y a aussi du vin kazakh ! On goûte celui d'Arba, un domaine à 1 h 30 de route à l'est d'Almaty. On en trouve à leur caveau en ville, et même dans certaines supérettes.
Les vins qu'on a goûtés étaient excellents (un pinot noir, un chardonnay, et un autre pinot noir de luxe "Réserve 2014"), aromatiques, de style européen (filtré) plutôt que géorgien (qvevri) malgré la proximité géographique des deux pays et leur histoire partagée sous l'URSS. Il faut dire que contrairement à la Géorgie, il n'y a pas vraiment de tradition du vin au Kazakhstan, donc même si la qualité est très haute chez Arba, la sélection est assez standard et sans grande particularité — ça nous rappelle un peu le vin en Azerbaïdjan.
Mais le vin n'a pas l'air d'être une boisson très populaire à Almaty. Ici, quand ce n'est pas vodka, c'est plutôt bière. On voit beaucoup de magasins qui vendent de la bière pression au litre, à emporter chez soi dans des grandes bouteilles en plastique ou en verre.
Il y a aussi quelques bars à bière artisanale, on boit par exemple des bonnes bières russes à Baza avec Clo et Shun.
On vous a parlé de la fierté de la région d'Almaty, les pommes. Naturellement, il y a aussi du cidre. Comme le vin, le cidre n'a pas l'air d'être très apprécié par les masses, mais on tombe sur une très bonne bouteille locale au menu du resto ukrainien.
Et finalement — on ne sait pas trop si ça compte dans la catégorie boissons alcoolisées mais on va dire que oui — il y a le kumis. Il s'agit d'une boisson à base de lait de jument similaire au kéfir, mais fermentée à l'aide d'un levain liquide plutôt que du levain en "grains". Comme le lait de jument est plus sucré que le lait de vache, le kumis a aussi tendance à être plus alcoolisé que le kéfir. On en trouve au supermarché, mais celui qu'on a acheté doit avoir traîné sur l'étagère un certain temps. Il est très fort en goût, un peu comme du qurt. Mathieu nous dit que le kumis frais peut être assez bon.
Fêter Nauryz
Toujours dans la catégorie boissons, il y a encore le shubat, similaire au kumis ci-dessus mais avec du lait de chamelle plutôt que de jument. Florian de Food Perestroika disait en trouver partout au Kazakhstan (en bouteille au supermarché, frais au restaurant...), mais on n'en a pas trop remarqué pendant notre séjour. On a lu qu'on pouvait facilement s'en procurer à l'occasion de Nauryz (en kazakh — Nowruz en persan, Norouz en français), le Nouvel An persan, célébré des Balkans à la Chine.
Quelle surprise : cette année, Nauryz tombe les 21, 22 et 23 mars. On pourra boire du shubat.
Un kazakh et nomade autoproclamé rencontré à la salle de bloc nous dit qu'à l'époque, on célébrait Nauryz pendant 40 jours. Donc trois jours, ça paraît peu — mais ça fait des semaines qu'on remarque les préparations. Par exemple, au marché de Samarcande, on goûte au soumalak, une pâte de blé germé sucrée, préparée pour Nauryz dans un qozon. Le goût nous rappelle la crème de marrons. Une semaine avant le jour J, des scènes sont mises en place sur les squares et rues piétonnes d'Almaty.
Les célébrations de Nauryz sont donc très anticipées. Enfin, le 21 mars arrive. Il pleut.
Un concert sous la pluie, c'est un peu triste. Et ce qu'on entend n'est que moyennement intéressant : une reprise de la bande originale de Game of Thrones par un duo d'instruments à corde kazakh, la dombra et le kylkobyz.
Heureusement, on parvient à dénicher une spécialité kazakhe de Nauryz qu'on avait ABSOLUMENT envie de goûter : le Nauryz kozhe, un porridge à base de lait ou kéfir dont la recette peut varier, mais qui doit inclure 7 ingrédients (pas 6, pas 8), dont souvent de la viande de cheval et du riz (et/ou d'autres céréales).
Mathieu nous décrivait ça comme quelque chose de pas bon du tout, et c'est vrai qu'avec cette liste d'ingrédients, nos attentes sont plutôt basses.
C'est moins pire que ce qu'on aurait pensé : juste un porridge acide. Ce n'est pas pour tout le monde : Clo et Shun n'aiment pas du tout, et on voit plein de verres de Nauryz kozhe abandonnés à moitié pleins. Boire du Nauryz kozhe promet la prospérité pour l'année à venir — mais personne n'a dit qu'il fallait finir son verre.
Le troisième jour de Nauryz, la pluie s'est arrêtée, et on retourne au centre-ville avec Clo, Shun et Mathieu. Il y a un peu plus de monde et de choses qui se passent, mais ce n'est pas non plus la folie. Mathieu nous dit que pour assister aux vraies célébrations de Nauryz, il faut sortir d'Almaty — Nauryz se fête dans les villages. La prochaine fois !
Ah, et on a failli oublier : on a finalement trouvé du shubat ! (Le lait de chamelle fermenté, au cas où vous auriez oublié.)
Ça a un goût de kumis.
Partir
Nauryz aura aussi légèrement retardé notre départ, puisqu'aucun bus ne partait vers la Chine du 21 au 23 mars.
Le 24 aux aurores, on retrouve Clo à la station et embarque pour un trajet de 24 heures jusqu'à Ürümqi (avec 3 heures de décalage horaire, donc en vrai 21 heures, c'est rapide).
Et finalement, après trois mois de trajet, on arrive en Chine.
— robin & clara