Après notre séjour à Trabzon en Turquie, on a passé la frontière et deux nuits à Batoumi, station balnéaire des côtes géorgiennes de la mer Noire.

En été, des touristes viennent en masse du reste de la Géorgie, d'Arménie1, de Turquie et de Russie pour profiter des plages, des quais bordés de palmiers, et des casinos. On a entendu la ville être décrite comme la "Las Vegas de la mer Noire".

Super, mais...

Le "boulevard" de Batoumi, quais bordés de palmiers. Pour l'hiver les palmes des palmiers sont attachées en une sorte de couette. Les quais sont déserts, trempés par la pluie battante.

... on a eu deux jours de pluie non-stop. Pour la plage, c'est raté.

Des balades sous la pluie

La première chose qu'on remarque en arrivant est l'architecture résolument balnéaire de la ville. Il n'y a pas vraiment de "centre" mais plutôt un réseau quadrillé de boulevards, le long desquels se succèdent les immeubles, souvent des hôtels ou des appartements à louer. On en voit des plus ou moins modernes et des plus ou moins kitch. Beaucoup se disputent une vue sur la mer.

En tout cas ça rend les balades intéressantes, et malgré la pluie, on s'est beaucoup promené·es en prenant des photos d'immeubles — souvent entre deux cafés, où on laissait sécher nos habits.

Le poste frontière de Sarpi, on peut lire 'Georgia' sur la façade. C'est une structure en béton de forme improbable et qu'on n'arrive pas à mieux décrire que par le terme 'blob'. En haut, une lignée de vitres, probablement pour contrôler les passages de la frontière. Une grande tour au centre de Batoumi, blanche et grise et qui se termine en pointe. À mi-hauteur, une petite grande roue dorée est installée contre la façade, avec huit cabines.
Deux bâtiments dignes d'un roman de science-fiction. Les formes improbables du poste frontière à Sarpi, et la Batoumi Tower (hôtel et casino) sur laquelle il y a... une grande roue ?
Un immeuble Art Nouveau le long d'un boulevard à Batoumi, tout en courbes arrondies. Quelques hauts palmiers se dressent en face. Le cinéma Apollo à Batoumi. La façade est percée par une énorme baie vitrée circulaire, et le haut du bâtiment répète la courbe du cercle. 'Cinema Apollo' est inscrit sur la façade dans un style très années 1920.
Des immeubles Art Nouveau, comme le magnifique cinéma Apollo.
Un hôtel Courtyard by Marriott à Batoumi, immense immeuble arrondi en forme de vagues. La nouvelle tour Azure de Batoumi, encore plus grande que le Marriott, une coupe triangulaire et un dégradé du rouge au bleu en s'éloignant du sol.
Des gratte-ciels modernes, ici l'hôtel Marriott et la nouvelle tour Azure (46 étages, hôtel et appartements).
Un immeuble de quatre étages peint en différentes teintes de bleu, au coin arrondi, avec des balcons communiquants et couverts où sèchent des habits. Une structure étrange en forme de pieuvre, couverte de mosaïque de couleur criarde. Des escaliers en pente douce y mènent, et il y a un espace abrité sous la pieuvre où se tenait à l'époque un café.
Des restes de l'époque soviétique : un immeuble "appartement à la plage en URSS" et un ancien café en forme de pieuvre, couvert de mosaïque.

Une autre chose étrange qu'on remarque dans nos balades est l'énorme densité de lieux d'échange de cryptomonnaie (crypto vers USD ou vice versa). Mais au fond ça colle bien avec l'ambiance casino de la ville.

Un commerce dans un boulevard de Batoumi bordé d'arbres, on y lit 'Crypto Service' en anglais et en géorgien.

Finalement, pour les immeubles plus lambda, on voit beaucoup de façades assez classiques... dont l'envers est fait de tôle rafistolée. Les apparences priment !

La façade d'un immeuble à Batoumi, blanc propre, petits balcons. L'arrière du même bâtiment, couvert de tôle verte et gris alu tordue et rouillée
La façade, et l'envers du décor

Passons aux choses sérieuses : manger

En passant la frontière, on change de cuisine... en douceur. La cuisine adjarienne (région de Batoumi) est assez différente du reste de la cuisine géorgienne. Elle est marquée par les montagnes (fromage) et la côte (poisson) — comme à Trabzon.

Côté turc, parmi les dernières spécialités qu'on avait goûtées, il y avait la pide au fromage fondu, la muhlama (fondue turque), le hamsi (anchois), et des baklavas.

Côté géorgien, on retrouve le fromage fondu, le poisson, les baklavas, et en bonus quelques nouveaux plats.

Vue d'ensemble des points communs et différences des cuisines de la mer Noire :

1. Adjaruli khachapuri / Peynirli pide

On commence par le plus connu, plat national de la Géorgie. Si vous allez dans un restaurant géorgien à l'étranger, il y aura forcément du khachapuri au menu2. Et ça sera probablement la variante adjaruli, originaire de la région de Batoumi, qui sera vendue : c'est la version qui a le plus "percé" à l'étranger.

Les gens décrivent le khachapuri adjaruli comme un pain en forme de bateau, rempli de fromage fondu, et où on met aussi un œuf qui cuira dans le fromage chaud à la sortie du four, avec bien sûr un gros morceau de beurre. Une autre description pourrait être celle de Florian de Food Perestroika : death by cheese. Clara a fini par en avoir assez du fromage fondu et rêver de salade — et pour une Suissesse ce n'est pas peu dire !

Robin entame un khachapuri dans un petit resto de khachapuri à Batoumi. Il a les yeux baissés sur le mélange de fromage, d'œuf et de beurre et tire légèrement la langue.
Adjaruli khachapuri à Batoumi

Pour déguster le khachapuri, on mélange d'abord l'œuf et le beurre dans le fromage, puis on arrache à la main des morceaux de pain sur le côté, qu'on trempe dans le fromage-œuf-beurre. À la fin il ne reste que le dessous de la pâte, imbibée de fromage, qu'on mange en se salissant les doigts. C'est délicieux.

Le khachapuri adjaruli ressemble énormément à la peynirli pide (pide au fromage fondu), spécialité de Trabzon. Une différence qu'on a remarquée est que côté turc, l'œuf est optionnel. Le fromage lui-même est aussi moins salé que du côté géorgien.

Robin entame une pide au fromage dans un petit resto de pide à Trabzon. Il sourit légèrement en plongeant son pain dans le mélange de fromage et de beurre.
Quelques jours plus tôt, une peynirli pide à Trabzon... vous voyez la ressemblance ?

2. Borano / Muhlama

Le borano est surnommé "fondue géorgienne", on comprend pourquoi. Mais c'est quand-même assez différent de la fondue suisse, puisque ici pas de vin blanc — à la place, on renverse du beurre brûlant sur un fromage mou pour le faire fondre. C'est assez intense, comme vous pouvez l'imaginer, donc dans beaucoup de versions modernes on mélange d'abord un autre ingrédient au fromage (œufs, patates...) avant de verser le beurre.

On le mange en y trempant du pain, comme il faut. C'est très bon, le beurre bruni donne un petit goût de noisette. Ah et aussi, c'est normalement un accompagnement, pas un plat principal.

Un borano, fondue géorgienne, servi dans un petit caquelon à un restaurant de Batoumi. Le fromage fondu est moins homogène que dans une fondue au fromage suisse, on voit le beurre bruni entre les morceaux de fromage.
Un borano aux patates. Sur la gauche c'est un yakhni, ragoût de bœuf aux noix et épices — voir plus bas.

Quelques jours plus tôt à Trabzon, on avait découvert la muhlama (ou kuymak3), la "fondue turque". C'est de nouveau quelque chose de différent : on fond du beurre dans un plat de cuivre et y dissout de la farine de maïs avant d'ajouter le fromage. Ça se rapproche plus de la fondue suisse en termes de consistance, mais le fromage utilisé est moins salé, le résultat est plus doux... donc on le mange au petit-déjeuner (on approuve).

Robin trempe un morceau de pain dans une muhlama pour un petit-déjeuner à Trabzon. Le fromage fait plein de fils.
Petit-déjeuner à Trabzon

3. Barabuli / Hamsi

Sur les côtes turques de la mer Noire, on mange le poisson frit à l'huile d'olive, avec du jus de citron. C'est souvent du hamsi (anchois), qu'on mange entier (sans la tête).

Une petite table dans une ruelle de Trabzon couverte de plats de poisson et d'accompagnements.
Balık çorbası (soupe de poisson) et hamsi à Trabzon. Comme accompagnement on reçoit une salade, des petits légumes au vinaigre, du helva, une kaygana (sorte de pancake aux légumes), du pain... et une patate ?

Côté géorgien... on a raté le poisson, à notre plus grand désespoir. Il pleuvait trop, le marché était trop loin... ce sera pour la prochaine fois !

De ce qu'on a pu en lire, l'expérience a l'air super :

  • on va au marché aux poissons de Batoumi
  • on choisit du poisson pêché le jour même, de préférence du barabuli (rouget de vase)
  • poisson dans un sac en plastique, on l'amène à un stand où il est préparé (retrait des écailles, de la tête, des organes)
  • poisson préparé dans un nouveau sac en plastique, on l'amène à l'un des petits restos sur place où il est cuisiné. On commande accompagnement et boissons à côté.

4. Pakhlava / Baklava

On ne présente plus les baklavas côté turc :

Une assiette assortie de baklavas turcques à un café de Trabzon, accompagnées de deux thés.

Par contre, vous serez peut-être tout aussi surpris·e que nous en apprenant qu'on trouve aussi des variations régionales du baklava partout entre Trieste et Samarcande.

Le pakhlava adjarien ressemble assez à la version arménienne, selon internet. Si on a bien compris, une grosse différence est qu'il ne se fait qu'aux noix, contrairement au baklava turc qu'on trouve aussi à la noisette ou à la pistache. Elle est aussi plus "sèche" que la version turque, on ajoute moins de miel à la fin.

L'assiette en styrofoam de tout à l'heure, avec l'achma sur la gauche. Sur la droite, un pakhlava adjarien en forme de losange
Pakhlava (sur la droite)

Refuge au café

On a l'habitude de beaucoup aller dans des cafés en voyage — ça permet de faire des pauses, et d'écrire ces articles !

À Batoumi, on avait l'excuse supplémentaire qu'il pleuvait des cordes, et qu'on était trempé·es après une demi-heure de balade. Il y a aussi plein de cafés sympas en ville, souvent remplis de Russes sur leurs laptops.

Une dernière excuse pour se réfugier dans un café (s'il en faut), c'est de se débarrasser des chiens errants qui suivent Robin presque en permanence quand on se balade dans les rues. C'est arrivé qu'on rameute cinq ou six chiens sur les quais, dont trois nous ont suivi pendant une bonne demi-heure jusqu'à un café du centre-ville.

Robin marche sous la pluie (avec veste noire et capuchon sur la tête). Il se retourne vers l'objectif et est suivi de deux gros chiens : sur sa gauche un chien brun, sur sa droite un chien noir qui le regarde dans les yeux.

Sur la façade d'un immeuble à Batoumi, une murale d'un chien blanc et noir avec une couronne sur la tête. Le nom du chien est écrit en alphabet latin et géorgien : Kupata
À Batoumi comme en Turquie, les chiens de rue sont très bien traités par les habitant·es, et souvents vus comme des animaux de compagnie communautaires. Un chien de Batoumi, Kupata, est devenu célèbre sur YouTube en aidant les enfants à traverser la rue. Il est décédé il y a quelques mois, une murale a été peinte dans le quartier en son souvenir.

Finalement, le soir, on se sèche et se réchauffe autour d'un verre de vin. Bienvenue en Géorgie !

Deux verres de rouge sur une table, Clara assise en face sourit à l'objectif.

— robin & clara

Footnotes

  1. Un train direct fait Yerevan-Batoumi en saison haute

  2. le plat sert même d'indice économique en Géorgie : la fac d'économie à Tbilissi publie le Khachapuri Index, qui calcule l'inflation en mesurant le coût de cuisiner un imeruli khachapuri : de la farine, du fromage, de la levure, du lait, des œufs, du beurre, et le coût en gaz et électricité.

  3. muhlama dans la région de Rize, kuymak dans la région de Trabzon, ou encore mıhlama autour d'Erzurum. Mais muhlama est le terme le plus commun, on le voit aussi utilisé sur les menus de Trabzon.

  4. On a lu que la cuisine géorgienne est aux Russes ce que la cuisine indienne est aux Anglais : familière mais exotique

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