Un voyage sur les routes de la soie, c'est tout d'abord un itinéraire vers l'est (ou l'ouest, si vous partez de l'autre bout). En partant de Géorgie, on décide néanmoins de faire un aller-retour par l'Arménie au sud.

La raison principale du détour est simple : on a un visa chinois à demander pour compléter notre périple — sans aller dans les détails, c'est un visa très compliqué à avoir et on avait plus de chance de l'obtenir à Yerevan.1 Bien sûr, ça nous intéresse d'aller faire un tour dans ce pays souvent oublié du Caucase.

On prend donc un train de nuit de Tbilissi à Yerevan, où Robin passe toute la nuit à discuter avec Vlad (notre voisin de couchette russe) pendant que Clara est responsable et dort au-dessus.

Au petit matin, on arrive dans la capitale arménienne, dont on découvrira quelques aspects pendant les cinq jours qui suivent.

Première impression

Il est 7 h du matin, il fait encore noir lorsqu'on débarque dans une grande gare vide. Des chauffeurs de taxi attendaient l'arrivée du train et nous abordent en russe pour nous proposer un trajet jusqu'au centre. Comme des grand·es, on refuse ces offres car on sait que le métro peut nous y amener directement — toute une aventure le métro !

Le hall de la gare de Yerevan, grandiose et vide, un tout petit sapin de Noël au milieu (le Noël orthodoxe était la semaine dernière et le nouvel-an orthodoxe hier : il reste des décorations).
La gare de Yerevan

On débarque à la place de la République quelques arrêts plus loin. Celle qu'on appelait la place Lénine jusqu'en 1990 est énorme et silencieuse. Tout ce qui nous entoure semble avoir été construit pour être imposant et fièrement représenter la grandeur soviétique. (On découvre plus tard que Yerevan a décuplé de taille durant les cinquante années où elle a été annexée à l'URSS. Cette place et quasi toute la planification urbaine de la ville datent de cette période.)

Clara debout sur l'immense place de la République. Le soleil est encore couché, l'éclairage de la place vient des lampadaires et des décorations de Noël. Vue sur un bâtiment imposant de la place de la République. Il fait toujours nuit, mais il est illuminé de mille feux par tout un tas de différentes lumières.

À deux pas de la place, on trouve un café ouvert 24h/24 pour attendre l'heure du check-in.

Une ville dynamique (mais pas trop non plus)

Malgré l'impression qu'elle peut donner aux aurores, Yerevan est une ville plutôt vivante. Avec ses 1'100'000 habitant·es, elle a presque dix fois la population de la deuxième plus grande ville du pays (spoiler : Gyumri).

En dehors de la place de la République, les rues peuvent ressembler à ça.

L'avenue centrale de Yerevan. Grand boulevard piéton bordé d'immeubles de plusieurs étages. Il y a du monde dans les rues.

Contraste entre un vieux bâtiment soviétique en pierre brun et son voisin, un immeuble moderne tout en verre.

Une pizzeria s'imbrique dans un bâtiment soviétique. Contraste de couleurs et de matériaux entre deux mondes.

Des habits colorés sèchent sur des fils accrochés devant les fenêtres.

Une voiture Lada sur fond de grands immeubles.

Un bâtiment de style soviétique avec des balcons proéminents sortant du coin.

Zoom sur le haut d'un bâtiment en pierres roses. Les fenêtres sont alignées à la verticale sous une sorte d'arche formée par le mur. La gare de Yerevan vue de l'extérieur et de jour. Le bâtiment est décoré de colonnes et d'une immense pointe terminée en une étoile socialiste.

Clara dans un tunnel souterrain sous une anevue de Yerevan.

Un grand immeuble de pierre rose à la place de la République à Yerevan, avec du trafic, du monde, une horloge sur la façade.

Yerevan est la ville où tout se passe en Arménie2. Malgré la taille modeste du centre (qui se traverse en 30 minutes à pied), celui-ci est parsemé de musées, commerces, restaurants, cafés et bars.

Comme à notre habitude, on a beaucoup profité des différents cafés pour commencer la journée ou faire une pause dans l'après-midi.

Dans le café-librairie Mirzoyan, on voit une bibliothèque avec des livres au fond de la pièce. Un canapé au centre de la pièce et des tables au premier plan.
Mirzoyan, un café-librairie très sympa où on a passé quelques heures
Entrée du bar à vin, un mur entier est rempli de bouteilles au fond de la pièce.
Decant, un super bar à vin
À une table du bar à vin, on déguste un verre de vin rouge arménien avec une planche de charcuteries et fromages locaux. Clara fait un grand sourire (légèrement forcé) à la caméra.
Petite dégustation de vins arméniens — et Clara, pas du tout crispée

Une cuisine qui nous rappelle quelque chose

En dehors du vin, on s'est régalé·es en Arménie.

Avertissement : ni la Turquie, ni l'Arménie n'apprécieront ce qui va suivre, mais ce qui doit être dit va être dit. À Yerevan, on a retrouvé une cuisine se rapprochant beaucoup des plats turcs qu'on connaissait. Au fond, c'est simplement un effet de l'héritage ottoman, qu'on retrouve à différentes échelles dans toute la région.

Quelques comparaisons pour illustrer notre argumentaire :

Sorte de pizza arménienne, viande et épices sur le dessus, un citron sur le côté Très similaire au lahmajo arménien. Sur cette photo, le lahmacun turc est servi avec du coriandre et du citron.
Lahmajo arménien vs. lahmacun turc
Boisson à base de lait venant d'une bouteille Boisson à base de lait, servi dans une tasse en verre et mousseux sur le dessus.
T'an arménien vs. ayran turc (via Wikimedia)
Raviolis arméniens servis dans un plat en terre cuite dans de la sauce tomate et recouvert de yaourt Raviolis turcs servis dans une assiette avec une sauce au beurre et paprika. Ils sont recouverts de yaourt et d'une sauce aux noix sur la seconde moité du plat.
Manti arméniens vs. mantı turcs
Tolmas arméniens, feuilles de vigne farcies à la viande et au riz. Dolmas turcs très similaires aux tolmas arméniens. Ils sont habituellement farcis avec plus de riz que la version arménienne, et aussi servis avec du yaourt.
Tolma arméniens vs. dolma turcs (via Wikimedia)

En plus de l'influence ottomane, on remarque aussi ce qui reste de l'ère soviétique. Il est très commun de voir des plats géorgiens (khachapuri, khinkali) ou d'ailleurs en ex-URSS (borscht) au menu. Au final, on est content·es, on mange que des bonnes choses !

INTERDIT !!

Le ventre plein ou vide, il y a quelques règles que tout·e voyageur·euse à Yerevan se doit de respecter. On s'explique.

Cascade de Yerevan, monument s'étendant sur des dizaines de mètres. On peut monter le long d'un escalier jusqu'en haut de la Cascade.
Cascade de Yerevan, c'est sûrement plus joli en été

En face de la Cascade (LE monument de la ville) se trouve une exposition de sculptures mise à disposition par Gerard Cafesjian, généreux philanthrope arménien multimillionnaire né aux États-Unis.

On fait le tour de ce jardin artistique avec beaucoup d'intérêt. On aperçoit cette gigantesque statue d'une dame allongée sur le ventre et on s'approche de sa plaquette pour lire les quelques informations parlant de l'œuvre. Ni une ni deux, un garde caché jusque-là sort de derrière son buisson. Il est INTERDIT !! de longer le bord du gazon, même pour aller lire la plaquette.

Statue de femme bien en chair, allongée sur le ventre sur un pédéstal. Un fil délimite toute la zone interdite d'entrée. Impossible de lire la plaquette à côté de la statue depuis derrière le fil.
Statue de la dame allongée derrière les délimitations autorisées pour les visiteur·ses. INTERDIT !! d'aller lire la plaquette.

On vous épargne les détails de nos autres aventures rebelles, mais on va quand même les lister parce que franchement... voilà.

  • 🚫 INTERDIT !! de prendre des photos du métro.
  • 🚫 Dans le parc des Amoureux, il est INTERDIT !! de marcher sur le petit pont menant à une petite île artificielle au milieux d'un lac artificiel (sans eau en hiver). (À quoi sert donc ce pont ? Et pourquoi est-il "staff only" ?)
  • 🚫 Dans le même parc, il est formellement INTERDIT !! de prendre des photos.

Pour les photos, on a appris plus tard que ce serait un reste de l'époque soviétique, quand on craignait que des photos de lieux "à importance stratégique" soient diffusées — des lieux comme le métro, ou le parc des Amoureux.

Des statues qui ont du peps

Quelque chose qu'on remarque même plus que ces règles de sécurité nationale, ce sont les statues dans les rues. Oubliez le style classique et ennuyeux des généraux de guerre de nos contrées. À Yerevan, elles ont de la présence et des émotions. On ne construit pas une statue juste pour faire joli !

Statue d'un soldat extatique sur son cheval. Il a les bras écarté, son épée qui part vers l'arrière dans sa main droite.
Statue d'un winner à cheval qui se trouve près de notre Airbnb
Statue d'Alexander Tamanyan, style brutaliste, taillé dans une pierre claire. La taille de ses bras est exagérée, se terminant en mains immenses, posées sur une table. Il regarde vers le bas, l'air penseur.
Statue d'Alexander Tamanyan, architecte de l'opéra et de la place de la République, c.f. plus haut
Statue d'un légionnaire romain musclé, avec un tout petit zizi. Statue d'un lion de garde, empâté et qui tire un petit bout de langue.
Autres statues du centre Cafesjian, au pied de la Cascade
Une statue d'un peintre à l'expression dramatique, assis une toile à la main, les cheveux dasn le vent. Statue très élancée d'un monsieur en longue robe qui tient un livre.
Encore des statues

Ces figures qui constellent la ville ne sont que la pointe de l'iceberg. L'Arménie semble porter énormément d'importance à l'art et met beaucoup en avant ses peintres, compositeurs·trices et autres écrivain·es. En plus de la gigantesque galerie nationale (8 étages d'expositions), on a remarqué un nombre impressionnant de musées, souvent dédiés à un·e seul·e artiste.

Peinture réaliste d'un coucher de soleil sur la côte, le soleil couchant se reflète dans la mer calme, les ramparts d'une ville s'élèvent sur la terre ferme, il y a un bateau de pêche au premier plan. Peinture réaliste de la mer vue du port de nice, il y a du brouillard, on distingue des bateaux. Il y a quelques personnes sur le quai.
Peintures d'Ivan Aivazovsky à la galerie nationale
Vue des deux étages du musée d'Eduard Isabekyan. Il y a de plus petits tableaux au premier étage et de plus grandes fresques au second étage. Une oœuve d'Isabekyan, quatre femmes à la récolte du tabac. Les couleurs principales sont le bleu, le rouge et l'orange, couleurs du drapeau arménien, le nationalisme étant un thème fort chez le peintre.
Petit musée dédié à Eduard Isabekyan, peintre arménien
Sculpture en barres de fer de Hakobian repreésentant une famille, assez conceptuelle, presque iconographique, difficile à décrire. Écrivez-nous pour une description plus détaillée, il faudra quelques paragraphes ! Peinture de Hakobian dans des tons clairs, un mannequin de peintre enlace un mannequin de designer de mode, une poupée est posée sur une table devant eux.
Exposition sur le peintre et sculpteur Hakob Hakobian à la galerie nationale

Best red wine

Plus haut, on vous a montré deux photos de Decant, un petit bar à vin du centre de Yerevan. Si vous passez en ville, on vous le recommande en fermant les yeux. Mais la vérité, c'est qu'on est tombé·es dessus seulement le dernier soir.

Les autres jours, on a plutôt fait des soirées repas et film à l'Airbnb3, en buvant du vin du supermarché.

Ça se déroulait comme ça :

  • en fin d'après-midi, on hésite entre manger au resto ou rentrer cuisiner quelque chose
  • si on cuisine, il faut passer par le supermarché Yerevan City, près de la place de la République et ouvert 24h/24
  • même si on mange dehors, on passe quand même par le supermarché Yerevan City, Robin veut acheter des noix de cajou
  • on passe au rayon vin et prend une bouteille (voir plus bas)
  • sur le retour du supermarché Yerevan City, on traverse le Circular Park et fait des câlins à un chaton qu'on trouve toujours au même endroit
  • à la maison on cuisine ou pas, branche l'ordi de Clara sur la télé du grand salon (notre Airbnb est énorme), et se met au film en mangeant et en buvant du vin
  • Robin finit ses noix de cajou, il faudra en reprendre demain

Au rayon vin du supermarché Yerevan City, Robin a des interactions sympa. À peine un regard jeté sur les dizaines de bouteilles en tous genres, il est abordé par une jeune employée du supermarché. Dialogue en langue originale :

L'employée s'approche :
— Hello
— Hi
— Red?
— Yes
— Dry?
— Yes
Tendant une bouteille à Robin :
— This is best red wine

Le "best red wine" en question est une bouteille du Vayk Group, une entreprise du sud du pays qui produit des fruits secs et du vin sous différentes marques, ici "Kars". Pas exactement le petit vignoble (bon OK, on est au supermarché). Mais il est pas mal.

Le lendemain :

Robin voit l'employée au bout du rayon. Il aimerait bien regarder les bouteilles tout seul, peut-être chercher quelques noms sur internet. L'employée s'approche :
— Hello
— Hi again
— Red?
Robin, qui a entre-temps appris le nom du principal cépage rouge arménien :
— What Areni do you recommend?
L'employée, après une hésitation d'un instant :
— This is best Areni

Cette fois, c'est une bouteille de Takar, une marque de l'énorme Armenia Wine Company, dont on trouve les bouteilles dans tous les supermarchés et restos du pays. Le cépage Areni (en tout cas dans les bouteilles qu'on a goûtées) est rond, tannique mais pas trop, aromatique, donc bien pour accompagner un plat mais aussi sympa en apéro. Un rouge assez standard.

Le surlendemain :

L'employée s'approche timidement :
— Hello
— Hi, how are you?
— Good
— Is there another dry red wine that you would recommend?
L'employée, l'air perdue :
— Best red wine is Kars and Takar
Moment gênant, Robin regarde quelques étiquettes, prend une bouteille :
— What about this one?
— Okay

On goûte donc le Areni Koor de Highland Cellars, très bon mais toujours un gros domaine, étiquette traduite en anglais pour faciliter l'exportation, etc. Où sont donc les petits domaines ?

Réponse : pas au supermarché, mais au bar à vin Decant (cet article n'est pas sponsorisé).

Les quatre bouteilles qu'on a bues à Yerevan, trois du supermarché, et la quatrième du bar à vin Decant.


Yerevan n'était censé qu'être un détour logistique, mais on s'est finalement pris·es au jeu. En contraste avec Tbilissi, la capitale arménienne peut sembler un peu morne. Mais au fond, elle a son propre charme et clairement de quoi plaire.

On l'a malheureusement visitée à la mauvaise saison, car on nous a dit que Yerevan se réveille lorsque le soleil pointe son nez. Peut-être qu'on repassera pour flâner entre ses statues et prendre un verre de vin sur une terrasse.

— clara & robin

Footnotes

  1. On l'a eu !

  2. Nouveau concept de géo : Yerevan est dite "ville primatiale" d'Arménie, elle est plus de deux fois plus peuplée que la seconde ville. Son indice de Jefferson (iJ), rapport entre la population de la première ville (P1) et de la seconde ville (P2) est de 9.7 (P1 / P2) : Yerevan est 9.7 fois plus grande que Gyumri (estimation). D'autres villes primatiales : Istanbul en Turquie (iJ 2.7, 2023), Tbilissi en Géorgie (iJ 6.9, 2023 XSLX), Paris en France (iJ 6.4, 2020). Il n'y a pas de ville primatiale en Allemagne (iJ 1.4, 2021).

  3. On regarde la trilogie The Equalizer, du grand cinéma (blague)

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