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Sous la pluie de Batoumi
Entre architecture et fromage fondu
Après notre séjour à Trabzon en Turquie, on a passé la frontière et deux nuits à Batoumi, station balnéaire des côtes géorgiennes de la mer Noire.
En été, des touristes viennent en masse du reste de la Géorgie, d'Arménie1, de Turquie et de Russie pour profiter des plages, des quais bordés de palmiers, et des casinos. On a entendu la ville être décrite comme la "Las Vegas de la mer Noire".
Super, mais...
... on a eu deux jours de pluie non-stop. Pour la plage, c'est raté.
Des balades sous la pluie
La première chose qu'on remarque en arrivant est l'architecture résolument balnéaire de la ville. Il n'y a pas vraiment de "centre" mais plutôt un réseau quadrillé de boulevards, le long desquels se succèdent les immeubles, souvent des hôtels ou des appartements à louer. On en voit des plus ou moins modernes et des plus ou moins kitch. Beaucoup se disputent une vue sur la mer.
En tout cas ça rend les balades intéressantes, et malgré la pluie, on s'est beaucoup promené·es en prenant des photos d'immeubles — souvent entre deux cafés, où on laissait sécher nos habits.
Une autre chose étrange qu'on remarque dans nos balades est l'énorme densité de lieux d'échange de cryptomonnaie (crypto vers USD ou vice versa). Mais au fond ça colle bien avec l'ambiance casino de la ville.
Finalement, pour les immeubles plus lambda, on voit beaucoup de façades assez classiques... dont l'envers est fait de tôle rafistolée. Les apparences priment !
Passons aux choses sérieuses : manger
En passant la frontière, on change de cuisine... en douceur. La cuisine adjarienne (région de Batoumi) est assez différente du reste de la cuisine géorgienne. Elle est marquée par les montagnes (fromage) et la côte (poisson) — comme à Trabzon.
Côté turc, parmi les dernières spécialités qu'on avait goûtées, il y avait la pide au fromage fondu, la muhlama (fondue turque), le hamsi (anchois), et des baklavas.
Côté géorgien, on retrouve le fromage fondu, le poisson, les baklavas, et en bonus quelques nouveaux plats.
Vue d'ensemble des points communs et différences des cuisines de la mer Noire :
1. Adjaruli khachapuri / Peynirli pide
On commence par le plus connu, plat national de la Géorgie. Si vous allez dans un restaurant géorgien à l'étranger, il y aura forcément du khachapuri au menu2. Et ça sera probablement la variante adjaruli, originaire de la région de Batoumi, qui sera vendue : c'est la version qui a le plus "percé" à l'étranger.
Les gens décrivent le khachapuri adjaruli comme un pain en forme de bateau, rempli de fromage fondu, et où on met aussi un œuf qui cuira dans le fromage chaud à la sortie du four, avec bien sûr un gros morceau de beurre. Une autre description pourrait être celle de Florian de Food Perestroika : death by cheese. Clara a fini par en avoir assez du fromage fondu et rêver de salade — et pour une Suissesse ce n'est pas peu dire !
Pour déguster le khachapuri, on mélange d'abord l'œuf et le beurre dans le fromage, puis on arrache à la main des morceaux de pain sur le côté, qu'on trempe dans le fromage-œuf-beurre. À la fin il ne reste que le dessous de la pâte, imbibée de fromage, qu'on mange en se salissant les doigts. C'est délicieux.
Le khachapuri adjaruli ressemble énormément à la peynirli pide (pide au fromage fondu), spécialité de Trabzon. Une différence qu'on a remarquée est que côté turc, l'œuf est optionnel. Le fromage lui-même est aussi moins salé que du côté géorgien.
2. Borano / Muhlama
Le borano est surnommé "fondue géorgienne", on comprend pourquoi. Mais c'est quand-même assez différent de la fondue suisse, puisque ici pas de vin blanc — à la place, on renverse du beurre brûlant sur un fromage mou pour le faire fondre. C'est assez intense, comme vous pouvez l'imaginer, donc dans beaucoup de versions modernes on mélange d'abord un autre ingrédient au fromage (œufs, patates...) avant de verser le beurre.
On le mange en y trempant du pain, comme il faut. C'est très bon, le beurre bruni donne un petit goût de noisette. Ah et aussi, c'est normalement un accompagnement, pas un plat principal.
Quelques jours plus tôt à Trabzon, on avait découvert la muhlama (ou kuymak3), la "fondue turque". C'est de nouveau quelque chose de différent : on fond du beurre dans un plat de cuivre et y dissout de la farine de maïs avant d'ajouter le fromage. Ça se rapproche plus de la fondue suisse en termes de consistance, mais le fromage utilisé est moins salé, le résultat est plus doux... donc on le mange au petit-déjeuner (on approuve).
3. Barabuli / Hamsi
Sur les côtes turques de la mer Noire, on mange le poisson frit à l'huile d'olive, avec du jus de citron. C'est souvent du hamsi (anchois), qu'on mange entier (sans la tête).
Côté géorgien... on a raté le poisson, à notre plus grand désespoir. Il pleuvait trop, le marché était trop loin... ce sera pour la prochaine fois !
De ce qu'on a pu en lire, l'expérience a l'air super :
- on va au marché aux poissons de Batoumi
- on choisit du poisson pêché le jour même, de préférence du barabuli (rouget de vase)
- poisson dans un sac en plastique, on l'amène à un stand où il est préparé (retrait des écailles, de la tête, des organes)
- poisson préparé dans un nouveau sac en plastique, on l'amène à l'un des petits restos sur place où il est cuisiné. On commande accompagnement et boissons à côté.
4. Pakhlava / Baklava
On ne présente plus les baklavas côté turc :
Par contre, vous serez peut-être tout aussi surpris·e que nous en apprenant qu'on trouve aussi des variations régionales du baklava partout entre Trieste et Samarcande.
Le pakhlava adjarien ressemble assez à la version arménienne, selon internet. Si on a bien compris, une grosse différence est qu'il ne se fait qu'aux noix, contrairement au baklava turc qu'on trouve aussi à la noisette ou à la pistache. Elle est aussi plus "sèche" que la version turque, on ajoute moins de miel à la fin.
Refuge au café
On a l'habitude de beaucoup aller dans des cafés en voyage — ça permet de faire des pauses, et d'écrire ces articles !
À Batoumi, on avait l'excuse supplémentaire qu'il pleuvait des cordes, et qu'on était trempé·es après une demi-heure de balade. Il y a aussi plein de cafés sympas en ville, souvent remplis de Russes sur leurs laptops.
Une dernière excuse pour se réfugier dans un café (s'il en faut), c'est de se débarrasser des chiens errants qui suivent Robin presque en permanence quand on se balade dans les rues. C'est arrivé qu'on rameute cinq ou six chiens sur les quais, dont trois nous ont suivi pendant une bonne demi-heure jusqu'à un café du centre-ville.
Finalement, le soir, on se sèche et se réchauffe autour d'un verre de vin. Bienvenue en Géorgie !
— robin & clara Un train direct fait Yerevan-Batoumi en saison haute ↩ le plat sert même d'indice économique en Géorgie : la fac d'économie à Tbilissi publie le Khachapuri Index, qui calcule l'inflation en mesurant le coût de cuisiner un imeruli khachapuri : de la farine, du fromage, de la levure, du lait, des œufs, du beurre, et le coût en gaz et électricité. ↩ muhlama dans la région de Rize, kuymak dans la région de Trabzon, ou encore mıhlama autour d'Erzurum. Mais muhlama est le terme le plus commun, on le voit aussi utilisé sur les menus de Trabzon. ↩ On a lu que la cuisine géorgienne est aux Russes ce que la cuisine indienne est aux Anglais : familière mais exotique ↩Footnotes